nouvelle

Meurtre au cabaret

2021
Policier
6 min.

Nouvelle écrite dans le cadre des journées des littératures policières Sang d'encre. La première et la dernière phrase étaient imposées.

loge de magicien mal rangée

— Tu es vraiment sûr de savoir te servir de cet engin ?

Morawski manipulait une espèce de canon court mais large. Il sursauta quand le coup partit. Une colombe traversa la pièce et alla s'écraser sur le mur avant de retomber, inerte. Je constatais en m'approchant que le volatile était en fait une boule de tissu à laquelle étaient fixés deux mouchoirs. De près, ça ne tenait pas, mais à grande vitesse, on y croyait. La loge du magicien était pleine de ce genre d'objets. Une caverne d'Ali Baba pour les enfants. Évidemment, il faudrait éviter de leur dire que le magicien y était mort assassiné.

La veille, toute la troupe du cabaret avait fait son numéro en terminant par le magicien. À la fin de la représentation, ça avait crié sévère dans sa loge lui et son assistante.

Le matin, le directeur avait frappé à sa porte sans obtenir de réponse. En constatant que la loge était verrouillée de l'intérieur, il était allé chercher de l'aide pour défoncer la porte. Et ils avaient trouvé le magicien dans la boîte du fameux numéro de la femme découpée. Il n'était pas découpé, mais un couteau sortait de sa poitrine. Le résultat était le même : il était mort et l'on nous avait fait venir pour démêler ce mystère.

En attendant l'assistante, Morawski commençait ses recherches.

— Ce soir, je veux des endives braisées au miel.

J'étais familier avec le fonctionnement singulier de son esprit. Son habitude de sortir des phrases tout à fait hors contexte ne m'étonnait plus. Aujourd'hui son thème semblait être la nourriture. Ceux qui ne le connaissaient pas le croyaient idiot et la façon dont ils réagissaient permettait d'apprendre beaucoup. Il avait en outre le don de découvrir les détails qui démêlaient les affaires.

— Posez ça s'il vous plaît.

Elle était entrée sans qu'on y fît attention. Une jeune femme élancée et très belle.

— Alors, il est mort ?

Elle s'approcha de la boîte. Le corps avait été emmené, bien sûr, mais du sang avait coulé et imprégnait le fond en bois. Comme tous les professionnels de la scène, elle contrôlait parfaitement ses émotions et ne laissait rien paraître.

— Oui. Vous êtes son assistante. Jeanne, c'est bien ça ?

Elle opina.

— On dit que vous vous êtes disputés avec votre patron hier soir.

— C'est vrai. J'ai conçu la plupart des tours que vous voyez dans cette pièce. Et pourtant, soir après soir, je me contente de jouer les potiches en petite tenue.

Je chassais de mon esprit les images qui essayaient d'y naître.

— Je voulais du changement, prendre une part active dans le numéro. Mais il n'était pas d'accord. Il pensait que le public n'accorderait aucun crédit à une femme magicienne.

— Sa mort résout la question, non ?

— Je suppose que oui.

Morawski continuait à fureter dans la pièce. Il s'arrêta et leva la tête.

— Pain beurre et sardines à l'huile, j'adore ça !

J'observais Jeanne attentivement, à l'affût de ses réactions. Mais sans détacher le regard de la boîte vide, elle dit :

— Suis-je considérée comme suspecte ?

J'aurais voulu dire non.

— Évidemment. Vous vous disputez avec votre patron et il est retrouvé assassiné le lendemain. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez fait ensuite ?

— Je suis allée voir Yoris. Je lui ai raconté la dispute et lui ai annoncé mon intention de quitter le cabaret pour monter mon propre spectacle. Il voulait que je passe la nuit avec lui, mais je n'étais pas d'humeur et je suis rentrée chez moi.

Ainsi elle avait une relation avec ce Yoris. Sans le connaître, je le détestais déjà.

— Parmi tous vos tours, vous n'avez rien pour fermer les verrous depuis l'extérieur ?

— La magie n'existe que dans un monde fantasmé, rempli d'illusions. Je le regrette souvent, mais elle n'a aucun pouvoir dans le monde réel.

Morawski s'approcha lentement de moi avec les mains en coupe. Il fit glisser dans mes mains tendues une quinzaine de petits grains noirs à peine plus gros que du riz. Pour déterminer de quoi il s'agissait, j'en pris un entre les doigts et l'effritai.

— Mais c'est de la merde de rat ! Pourquoi tu me ramènes ça ?

Je m'essuyai les mains sur mon pantalon et Morawski retourna à ses recherches en riant.

— Ça vient sans doute des rats de Yoris, il est dresseur.

— Bon. Je pense qu'il est temps d'avoir une conversation avec ce Yoris.

Le directeur, qui patientait nerveusement à l'extérieur de la loge, fut chargé de nous amener le dresseur. En entrant, le regard du jeune homme se porta immédiatement sur Jeanne qui, toujours penchée sur la boîte, lui tournait le dos. Un rat trônait sur son épaule.

— Bonjour Yoris. J'ai entendu dire que ces bêtes étaient très intelligentes. Vous pouvez nous faire une démonstration ?

Yoris caressa le rat et lui chuchota quelques mots. Il descendit le long de ses vêtements, s'approcha de mes chaussures, défit les lacets et retourna se jucher sur son dresseur. J'étais impressionné malgré moi et ma conviction était faite.

— Ils seraient tout à fait extraordinaires, si ce n'était leur manie de semer des crottes partout. Elles ont cependant le mérite de nous indiquer où ils ont passé beaucoup de temps. Comme dans cette loge, où un rat est visiblement resté toute la nuit. Sans doute jusqu'à ce que la porte soit enfoncée ce matin et qu'il puisse aller retrouver son maître. Pour un dresseur de votre talent, il ne doit pas être bien difficile d'apprendre à un rat à pousser un verrou, non ?

Yoris s'était raidi. Il agitait les doigts nerveusement.

— C'est ce qui s'est passé, n'est-ce pas ? C'était la seule solution pour que Jeanne reste auprès de vous. Hier soir, quand elle est partie, vous êtes allé tuer le magicien. Puis vous avez laissé un rat à l'intérieur afin qu'il pousse le verrou derrière vous.

Il regarda à nouveau vers Jeanne qui lui tournait toujours le dos. Il hésitait.

— Du fromage fondu sur des patates, c'est tout simple et tellement bon !

Yoris sursauta au son de la voix de Morawski. Il resta ahuri quelques instants et se résigna.

— Oui… Oui, c'est moi.

— Cet aveu jouera en votre faveur. Où avez-vous trouvé l'arme ?

J'agitais le couteau ensanglanté, emballé dans un sac transparent.

— Je l'ai prise là.

Il indiquait un support en bois avec de la place pour sept couteaux. Un emplacement était vide. Les six poignards restants étaient identiques à celui retrouvé dans le corps du magicien.

Avec une vivacité que je ne lui connaissais pas, Morawski attrapa l'un des couteaux, courut vers moi et me le planta dans le ventre. J'accusais le coup avant de comprendre ce qui s'était passé. Le poignard avait une lame rétractable et était donc tout à fait inoffensif. Tout comme les cinq restés à leur place. Seule l'arme du crime était réellement mortelle.

Dans un des tours du spectacle, l'assistante du magicien plantait le vrai couteau à côté de la tête du magicien pour montrer au public le danger qu'il courait. Puis, elle enfonçait les couteaux avec les lames rétractables dans le corps du magicien. Ce qui ne manquait jamais de provoquer des cris d'horreur dans la salle. Pour que l'illusion soit parfaite, le tour nécessitait un authentique couteau en tout point identique aux faux.

Seul un œil sûr, l'œil de celle qui avait inventé ce tour, aurait pu se saisir immédiatement du bon couteau la veille pour le planter dans le cœur de sa victime.

Jeanne s'était retournée, consciente que la belle histoire qu'elle avait imaginée s'effondrait. Elle évitait soigneusement de croiser le regard de son complice malgré lui, encore en train de réaliser à quel point il avait été manipulé.

Alors qu'on les emmenait, Morawski posa la main sur l'épaule de Jeanne et lui dit :

— Ça fait un bail que je n'ai pas mangé un vrai ragoût de mouton !