nouvelle

L'inter­rogatoire

2021
Humour
3 min.

Nouvelle écrite en 72h pour un concours organisé par Short Édition dont le thème était "La boîte".

Illustration stylisée d'un interrogatoire de police

— Je peux vous appeler Jean-Christophe ?

— Oui, Monsieur l'Inspecteur.

— Depuis combien de temps travaillez-vous dans la boîte de Monsieur euh… Vivalta, Jean-Christophe ?

— Quinze ans, Monsieur l'Inspecteur.

— Quinze ans, oui. C'est ce qu'on nous a dit. Personne ne s'est jamais plaint de votre travail ?

— Non, Monsieur l'Inspecteur.

— Et vous avez toujours été bien traité, n'est-ce pas ?

— Oui, c'est vrai.

— Racontez-moi ce qu'il s'est passé ce soir, Jean-Christophe.

— Eh bien je suis arrivé vers vingt heure, comme tous les jours. J'ai pris mon badge, qui est dans ma poche droite parce que la gauche est trouée et que je risque de le perdre si je le mets de ce côté. J'ai bipé et je suis entré dans le bâtiment. Je suis allé chercher mon chariot de ménage dans le local au bout du couloir. J'ai commencé par remplir les seaux avec de l'eau chaude : un pour le lavage et l'autre pour le rinçage. Et puis j'ai accroché un grand sac poubelle pour vider les corbeilles dedans au fur et à mesure.

— Est-ce que tous ces détails sont essentiels à votre histoire, Jean-Christophe ?

— Je ne comprends pas, Monsieur l'Inspecteur.

— C'est rien. Continuez…

— Ensuite, je suis allé à l'étagère chercher la bouteille de produit pour mettre dans le seau de lavage. Eh bien la poignée était tournée vers le mur !

— … Et ?

— Et normalement, la poignée est tournée vers moi. C'est logique parce que j'attrape la bouteille de produit par la poignée, j'en verse dans le seau — un bouchon sinon ça mousse trop — et puis je la repose sur l'étagère.

— Vous n'avez pas pu la mettre dans l'autre sens par erreur ?

— Non, Monsieur l'Inspecteur. Comme vous avez dit, personne n'a jamais eu à se plaindre de mon travail.

— Oui, c'est vrai. Mais…

— La poignée de la bouteille n'a jamais été tournée vers le mur. En quinze ans ce n'est jamais arrivé. Et ça n'arrivera pas tant que je travaillerais pour Monsieur Vivalta.

— Oui, bon, d'accord. Poursuivez.

— Autant vous dire qu'en sortant du local de ménage, j'étais sûr que quelque chose ne tournait pas rond. J'ai commencé mon ménage par la grande salle, comme d'habitude, mais j'étais sur mes gardes. J'ai entendu une musique au loin. Je me suis approché et c'est là que je l'ai vu. Un corps. Et son assassin en train de se livrer à une sorte de rite barbare. Il avait complètement déshabillé sa victime et il était en train de l'ouvrir à plusieurs endroits. Ça ne devait pas être la première fois parce qu'il savait ce qu'il faisait. Et tout ça en musique. Rendez-vous compte ! Il écoutait de la musique en même temps, comme si tout était normal. Alors j'ai pensé à un tueur en série.

— C'est à ce moment que vous nous avez appelés, n'est-ce pas ?

— Oui, Monsieur l'Inspecteur. J'ai fait mon service militaire, mais là c'était trop pour moi.

— Que vous a dit l'agent que vous avez eu au téléphone ?

— D'attendre que les renforts arrivent.

— Et qu'est-ce que vous avez fait ?

— Je suis retourné surveiller le tueur. Il s'était éloigné du corps, alors je me suis approché pour voir si le pauvre pouvait encore être sauvé. À mon avis c'était trop tard parce que tout son sang était dans deux bidons à côté de lui et le tueur lui avait à moitié cousu la bouche. J'ai entendu du bruit derrière moi, le tueur revenait. Il a dû être surpris de me trouver là parce qu'il a poussé un petit cri aigu. J'étais pris au piège alors je lui ai sauté dessus et j'ai commencé à taper.

— Et vous n'avez pas reconnu le fils de Monsieur Vivalta ?

— Non, pas sur le moment. Je l'ai vu quelques fois, mais je n'aurais jamais pu me douter que c'était un tueur en série.

— Il n'a tué personne. Il s'occupait d'une victime d'un accident de la route.

— Oui mais quand même, faire ça à un être humain.

— Est-ce que vous pouvez me rappeler le nom de la boîte pour laquelle vous travaillez ?

— Vivalta et Fils, Pompes funèbres.

— Merci, Jean-Christophe. Je pense qu'on va s'arrêter là.