nouvelle

Le héros de la ville

2014
Polar
3 min.

Nouvelle écrite dans le cadre de la deuxième édition du concours 48 heures pour écrire organisé par la maison d'éditions Édilivre qui donne, comme son nom l'indique, 48h pour écrire une nouvelle sur un thème donné. Cette année-là, le thème était « Le courage ».

Vue d'une maison en flamme

Le vent est frais. Il gonfle les bâches et agite les fanions de la petite estrade. Daniel frissonne. Il se sentirait plus à l'aise au milieu du public. Un peu surélevé sur la scène, il est plus exposé. Au vent, mais aussi aux regards. Sa transpiration se glace sous ses aisselles. Il fait de son mieux pour cacher ses tremblements.
« Courage… Bravoure… Héroïsme… Témérité… » sont les seuls mots que Daniel perçoit du discours du maire. Il a dû sacrement se creuser la tête pour trouver autant de synonymes. En bon politicien, chaque fois qu'il prononce l'un de ces mots, il en détache les syllabes et élève un peu la voix. Tout ça c'est du cinéma et Daniel fait partie du casting.
Au moins ça sera bientôt terminé. On attend de lui un discours après celui du maire. Il se contentera de bredouiller quelques mots. On prendra ça pour de la modestie et le public applaudira à tout rompre. Parce qu'il est un héros. C'est le rôle qu'il a décroché dans le film.
Dans le public, au premier rang il y a Collins. Il le fixe depuis le début de cet air un peu étonné qu'il a toujours. Même quand il tourne la tête, Daniel sent son regard. Ses lèvres bougent sans cesse, lentement, comme s'il voulait faire comprendre un mot à un malentendant. Daniel a d'abord eu du mal à saisir, puis il a compris. Le mot qu'il répète est « assassin ».

À côté du maire, Daniel sert les mains mécaniquement. La petite fille est là aussi. Elle ne comprend rien. Elle est si jeune. Six mois, d'après ce qu'on lui a dit.
Il a l'impression que cette réception ne finira jamais. Il boit trop, il le sait. Mais il a le rôle principal et tout le monde veut trinquer avec lui. Le mousseux lui chauffe la tête. Il doit être tout rouge.
Collins reste à distance. Il dénote au milieu des autres convives qui sourient, boivent, mangent, discutent. Il est juste là, à le fixer en remuant les lèvres. « Assassin, assassin ».

On lui demande de raconter l'histoire, encore. Il s'exécute, encore.
Il raconte comment un pur hasard l'a fait changer son trajet habituel pour passer devant cette maison isolée. Comment il a vu des flammes danser dans le salon par les fenêtres, comment il a défoncé la porte et s'est précipité à l'intérieur. Il décrit la fumée, la chaleur à la limite du soutenable, l'odeur de ses cheveux en train de griller. Les parents pris au piège par les flammes et déjà condamnés. La mère lui criant de sauver son bébé. Comment, au péril de sa vie, il a sortit l'enfant de la maison.
À nouveau on salue son courage. On se demande si on aurait été capable de la même chose ou si on se serait contenté d'attendre l'arrivée des pompiers.

Daniel ne mentionne pas la présence de Collins dans la maison. Sinon il faudrait dire toute l'histoire. Raconter comment ils avaient tous les deux préparé le cambriolage et de quelle façon tout a mal tourné.
Ils sont entrés dans la maison. Ils ont trouvé l'homme et la femme dans le salon. Daniel était sous pression. Il criait, leur demandait leur argent et les bijoux. Il a sorti son arme, la femme a hurlé et s'est précipitée vers son bébé. Daniel n'a pas compris son geste. Il a tiré et l'a atteinte en pleine poitrine. Son mari, d'abord abasourdi, est devenu fou, il lui a sauté dessus et Daniel a été obligé de l'abattre aussi.
Alors du courage, oui il en a eu. Ça au moins il ne l'a pas volé. Parce qu'il ne fallait pas attendre un coup de main de Collins. Pendant tout ce temps, il est resté à l'écart, abasourdi et inutile. C'est Daniel qui a pris la décision de mettre le feu. Collins a pris le bébé et est allé attendre dans la voiture.
Une fois le feu lancé, Daniel est allé rejoindre Collins. Il avait réussi à calmer l'enfant et l'avait allongé sur la banquette arrière. À l'arrivée de Daniel, il s'en est pris à lui, le traitant d'assassin, de malade mental, qu'il allait tout balancer et l'envoyer en taule. Et il a continué comme ça, toute la route.
Encore une fois, il a fallu du courage à Daniel. Mettre fin à une collaboration fructueuse, qui avait duré quinze ans. Il s'est arrêté, a tiré Collins hors de la voiture et l'a abattu sur la berge du canal.

La réception s'achève. La salle d'honneur de la mairie s'est vidée petit à petit et même Collins a disparu. Daniel veut rentrer. On propose de le ramener, mais il refuse. C'est vrai qu'il a fait honneur au mousseux, mais il se sent en pleine possession de ses moyens.

Il regarde droit devant lui et essaie de se concentrer sur la route. Il a eu la faiblesse de le penser, mais il sait que rien ne sera jamais terminé. Il n'a même pas été surpris de retrouver Collins sur le siège passager.
Il écoute le bruit du moteur. Il sait qu'aucune musique ne couvrira son murmure. « Assassin, assassin ».