nouvelle publication

Éden

2014
Science-fiction
4 min.

Nouvelle écrite dans le cadre du concours du festival de science-fiction BienVenus sur Mars sur le thème « Terre inconnue ».
Elle a bénéficié d'une édition dans le recueil de nouvelles sorti pour l'occasion.
Cette nouvelle a également était mise en voix par l'association CréatureS compagnie en 2021.

Vaisseau spatial posé sur une planète inconnue Couverture du recueil de nouvelles Terre inconnue Intérieur du recueil de nouvelles Terre inconnue

Yann ajusta la mise au point de son écran pour mieux distinguer la planète. Ce qu'il avait devant les yeux, c'était une classe A. Voire une A+. Il avait visité suffisamment de mondes pourris pour être au moins sûr de ça. Il fit un rapide calcul. À la vitesse à laquelle ils voyageaient, ils pourraient se poser dans moins de deux jours.
Il vérifia plusieurs fois les coordonnées pour s'assurer que la planète n'avait pas déjà été visitée. N'en trouvant pas trace dans la base de données, il prévint Marie qui fut aussi enthousiaste que lui.

Marie et Yann étaient Éclaireurs. Pour le compte d'une compagnie privée terrienne, ils détectaient des planètes susceptibles d'accueillir des colons et de fournir des matières premières à la Terre. Ils devaient l'étudier, s'y poser et monter un rapport détaillé des possibilités de vie et d'extraction.
S'il s'agissait bien d'une classe A+, ils étaient assurés de toucher une prime conséquente et pourraient se permettre de rentrer sur Terre et prendre quelques vacances. Peut-être même à deux… Leur cohabitation dans l'espace exigu du vaisseau les avait rapprochés.

En attendant de pouvoir atterrir, ils utilisèrent donc tous les capteurs du vaisseau pour accumuler un maximum de données. Et chacune d'elles les confortait dans la classification A+. L'air était respirable, bien que légèrement chargé en monoxyde de carbone, le climat était agréable et l'eau était présente sous ses trois formes. Gravité et période de révolution… tout était parfait.
Des organismes vivants simples et plus évolués avaient été détectés, mais aucun ne semblait dominer la planète. Il fallait bien entendu rester vigilant. Des histoires d'entités télépathes, de planètes carnivores ou de mirages évolués courraient chez les Éclaireurs. Et ils en avaient tous deux assez vu pour en croire une bonne partie.

Arrivé à proximité de la planète, Marie plaça le vaisseau en orbite basse, au niveau de l'équateur. Ils étudièrent le terrain, à la recherche d'une zone d'atterrissage. Assez rapidement, ils repérèrent une plaine large, bordée de collines basses et d'une forêt. Le vaisseau se posa en douceur, sur une épaisse couche de végétation.
Le manuel des Éclaireurs préconisait d'attendre une journée avant de sortir. Il valait mieux ne pas se montrer immédiatement. Si des prédateurs traînaient dans le coin, autant les laisser s'acharner sur la carlingue plutôt que sur leur chair tendre. Ils placèrent le vaisseau en veille et continuèrent les analyses avec les capteurs de surface.

Marie passa une bonne partie de la journée à regarder les écrans qui projetaient les images filmées par les caméras extérieure du vaisseau. Elle était éblouie par la beauté de la planète. La canopée de la forêt était très active. De gros volatiles s'élevaient fréquemment au-dessus des arbres, et des animaux sautaient de branches en branches. Une retenue d'eau, alimentée par un torrent qui descendait des vallées lointaines, était le point de rassemblement d'une faune variée et paisible. Elle frissonna en imaginant les machines de terraformation retourner la terre, damer les collines, creuser des puits et des fosses septiques… Elle s'en voulait d'être la cause du gâchis dont cette planète allait être la victime.
Arrivé discrètement, Yann posa les mains sur ses épaules et massa affectueusement sa nuque tendue. Ils restèrent un long moment dans cette position, silencieux, contemplant les paysages qu'on leur offrait.

***

La nuit avait été courte. Ils avaient beaucoup discuté et fini les préparatifs à une heure avancée, mais ils étaient prêts. Ils lancèrent l'enregistrement des caméras extérieures, comme stipulé dans le manuel, puis se rendirent dans le sas. Ils enfilèrent leurs combinaisons, s'aidant mutuellement, et sortirent.
Ils s'étaient à peine éloignés d'une dizaine de mètres du vaisseau, qu'un éclair les aveugla. Yann s'affaissa, touché à la poitrine. Marie n'eut pas le temps d'esquisser un geste, un second tir l'atteignit de plein fouet.
Ils étaient tous les deux allongés sur le sol, immobiles.
Ce furent les dernières images transmises à la Terre. Un troisième tir de laser, extrêmement bien ajusté, frappa les réserves d'oxygène et une boule de feu embrassa le vaisseau.

Lorsqu'il recevrait ces images, un bureaucrate terrien allait renseigner la base de données et marquer la planète en catégorie Rouge - « hostile » - et rayer Marie et Yann des listings. Les Éclaireurs éviteront désormais soigneusement la zone.

***

Yann se releva péniblement. À l'emplacement de l'impact, sa combinaison était trouée. Ignorant la douleur, il l'ouvrit et se débarrassa de la plaque d'alliage qui avait absorbé la plus grande partie de l'impact. Le choc lui avait quand même coupé le souffle et l'avait étourdit.
Il se précipita vers Marie qui était toujours allongée, inerte. Il vit avec soulagement sa poitrine se soulever et elle poussa un léger gémissement alors qu'il l'éloignait des flammes. Leur combinaison les avait protégés du feu, mais la température continuait à monter et d'autres réservoirs étaient susceptibles d'exploser.
Quand ils seraient un peu remis, ils détacheraient le canon laser qu'ils avaient installé et programmé pendant la nuit et le jetteraient dans les flammes. Et s'en serait fini de leur ancienne vie.

Cette planète était magnifique, pure. Ils n'avaient pu se résoudre à laisser les colons envahir ce paradis. Raser les forêts pour installer leurs villes préfabriquées et pomper toutes les ressources de cette planète sous prétexte de perpétuer le mode de vie terrien, sans jamais le remettre en question.
Ils voulaient croire à la possibilité de repartir réellement de zéro. Éviter de reproduire les mêmes erreurs. Et ils avaient saisi la chance qui leur était donnée.

Yann posa tendrement une main sur le ventre de Marie. Elle leva la tête et sourit. Les flammes dansaient dans ses yeux brillants de larmes.